Le mouton noir
Pierre Vincenot
Dans toute
famille, il y a des « phares », des repères, mais il existe également
des repoussoirs, des moutons noirs.
L’homme de
cinéma que j’ai été, n’ignore pas que pour faire du « positif » il
faut un excellent « négatif ».
Certains
personnages, qui ne rentreraient dans aucun Panthéon sont utiles à la
compréhension d’une époque. Et puis, il ne serait pas crédible qu’une famille
ne soit parsemée que de héros qui auraient toujours fait les bons choix.
Difficile de dire que le personnage dont je vais vous raconter l’histoire est
un héros, et pourtant sa démarche fut certainement emplie d’idéaux et il a eu à
son époque l’impression de remplir son devoir !
Et
pourtant quelle chape de plomb sur
certains personnages de la famille. Longtemps après j’ai trouvé cette citation
de Sartre sur internet : « Si nous voulons comprendre l’attitude de
collaborateurs, il faut les considérer sans passion et les décrire avec
objectivité d’après leurs paroles et leurs actes. »
Je sais très
peu de choses sur Pierre Vincenot, ce cousin « préféré » de maman. De
temps en temps, elle faisait allusion à lui, et je sentais qu’une grande
émotion s’emparait alors d’elle. C’est pour ce souvenir là, pour ce sentiment
tendre qu’il suscitait encore chez maman que j’ai envie d’en parler !
Je vais donc
partir des quelques éléments en ma possession et je vais retrouver avec les
témoignages de ses compagnons de retrouver sa trace, son parcours, ses
croyances, ses peurs.
Tout commence à
l’été 1941, Pierre est alors un jeune étudiant qui a quitté sa Provence natale
après la réussite au concours de Sciences Po ? Il vient de terminer sa
première année, et malgré la guerre et la seule présence de vieux professeurs,
il semble promis à un brillant avenir,
et puis cet été là, dans les nouvelles provenues de l’Est et le
déclenchement de l’opération Barberousse, l’Ours soviétique est devenu le grand
ennemi de toute l’Europe qui se doit d’être rassemble autour de l’Allemagne et
de son chancelier Hitler qui mène, lui, le vrai combat. La guerre en 1939 et
1940 n’a été qu’un malentendu entretenu par les forces juives et communistes
réunies qui ont amené certains pays comme la France ou l’Angleterre à effectuer
les mauvais choix. Les jeunes comme Pierre veulent bien croire à cette fiction
qui rétablit l’honneur et où la défaite totale et honteuse de notre pays est
présentée comme une vraie chance qui s’offre à lui !
Ces propos sont
reproduits dans les nombreux journaux autorisés par les Allemands, ou ceux
qu’ils ont « suscités » pour envahir nos esprits après avoir soumis
nos corps.
Pierre Vincenot
fait partie de ces jeunes, si influençables car tellement humiliés par la
défaite de juin 40. Pierre n’est pas du genre à lire « l’Humanité »
clandestine, mais plutôt « le Petit Parisien » et « je suis
Partout » avec les discours haineux de Jacques Doriot et de Marcel Déat.
Le 7 juillet
1941, la presse collabo fait état de la
création de L.V.F, notamment « l’œuvre » de marcel Déat…dans ce même
journal il est dit que « la L.V.F a été créée pour lutter, aux côtés de
l’armée allemande et de ses alliés jusqu’à la victoire finale sur la Russie et
le Bolchevisme. »

La Légion des
Volontaires Français n’est donc pas une création de Vichy, c’est vraiment la
volonté de certains fanatiques de se regrouper et d’aller au delà de la
collaboration officielle. Cette L.V.F est parrainé par le Cardinal
Baudrillard ainsi que quelques
académiciens comme Abel Bonnard et Abel Hermant.
Pierre va effectuer sa rentrée 1941 en deuxième année de sciences po et il reprend avec aigreur le chemin de la
rue Saint Guillaume et se résout mal à rester simple spectateur de l’histoire
qui se déroule sous ses yeux, ce n’est que après avoir ruminé ses frustrations
durant cette année que revenant en
vacances chez son père Jean Vincenot, il prend la décision de s’engager dans le
bureau marseillais de la L.V.F et il
est l’un de ceux qui va passer avec succès les tests médicaux rigoureux,
empruntés à l’armée allemande. En ce 16 juin 1942, seuls dix hommes sur vingt
ont été sélectionnés. Une fois engagé, Pierre découvrira qu’il est l’un des
rares « érudits » à avoir franchi le Rubicon et que l’essentiel de
ses camarades sont des manuels qui ont réagi avec leur tripes plus qu’avec leur
intellect !
Les mobiles ne
sont certainement pas financiers et puis la guerre va durer longtemps et le sort des hommes est si aléatoire.
Les débuts ne
furent pas faciles pour Pierre et devoir endosser l’uniforme allemand n’enragea
pas le moral. Comme tous les autres volontaires, il du se résigner à ne pas
porter le combat sous les habits de la France.
Pierre qui est très croyant se confie à leur aumônier, Mayol de Lupe et
le « monsignore » l’aide à surmonter ses doutes et réticences.
Le dernier pas
est franchi en 1943 où Laval permet l’enrôlement de français dans la Waffen-SS.
Pierre va s’engouffrer dans cette brèche, toujours pour combler son besoin de
grandeur et d’aventure. C’est un jeune français qui a mal à sa patrie et qui
n’a pas trouvé la bonne direction.
C’est, comme tous les autres, un obsédé de la « menace bolchévique »,
rendus tout aussi anglophobe par la maladresse des anglais à Porsmouth, Dakar
et Mers-el-Kébir.

Le passage à la
SS, s’est fait soit volontairement soit contraint vers la fin. Pour Pierre le
choix a été volontaire, c’était aller au bout d’une démarche intellectuelle.
Le passage
avait été difficile, et les hommes de la L.V.F avaient fait l’objet d’une
reprise en mains dans un camp en Pologne.
Pierre et ses camarades interviennent sur l’axe Moscou-Minsk et tentent
avec d’autres unités de créer un point de fixation près de la Berezina (sic). Les combats sont terribles et en deux
semaines sur leur effectif de 400 hommes de départ, il y a plus de 40 morts et
25 blessés.
Le choc a été
si rude, qu’il a vite fallu reconstituer
des unités à partir des débris de celles qui venaient de combattre. Certains
venaient de la Milice, d’autres de la Kriegsmarine ou de la Lutwaffe et enfin
de la SS.
Très vite, il a
fallu donner une unité à cet ensemble hétéroclite
C’est pourquoi,
tous ces hommes sont intégrés dans la Waffen-Grenadier-Brigade der SS Charlemagne, au total plus de 7000
hommes. Pierre souffle un peu et après le déluge de feu et de boue du front, il
est agréable de toucher des uniformes neufs, mais le plus grave est d’être doté
d’un armement restreint et obsolète. 1945
va être une année infernale pour ces troupes françaises, en quelques semaines, se repliant à travers
l’Allemagne, la division va perdre 2000 hommes.
C’est en se
repliant vers Berlin que Pierre est blessé par un tir d’obus et il se retrouve
sur un lit d’hôpital entre Prusse et Poméranie. Mais, il se remets sur pieds et
repart au combat en février 1945. Son bataillon est juste dans la charnière
entre deux armées soviétiques, celle qui descend la Vistule pour foncer sur
Dantzig et une autre, formée de soldats
moins expérimentés qui veulent occuper la Poméranie. Pierre est alors jeté dans la bataille, il
est le chef adjoint de la section antichar, son rôle est déterminant. Il sait
exactement où placer ses hommes. Il lit le paysage comme le ferait un
conducteur de char, il devine les routes des chars russes et il organise leur
future déroute. Pour Pierre qui adore les échecs c’est d’abord un défi
intellectuel : parvenir avec son faible effectif à arrêter une brigade
blindée russe, et parmi les plus récentes et les mieux équipées. Il a observé
les zones les plus bourbeuses, et il a
fait disposer par ses hommes des obstacles pour que les chars russes passent
exactement là où il veut !
Puis vint le
temps de la retraite vers février
1945, les troupes reculaient sur le sol
allemand. Les troupes allemandes et les
autres corps qui nous entouraient continuaient à nous suspecter de vouloir nous
débander. Même si ces hommes étaient venu de notre plein gré combattre auprès
d’eux, ils avaient du mal à comprendre leurs motivations. Un étrange climat les
a poursuivis jusqu’aux confins de Berlin.
C’est là que dans les derniers jours d’avril, Pierre a été blessé par la
chute d’un immeuble et qu’il a été fait prisonnier par une colonne anglaise qui
essayait de s’infiltrer dans ces faubourgs de la capitale prussienne.
Il s’est
réveillé dans un hôpital de campagne, il a été bien soigné, mais en apprenant
par ses compagnons de tente, qu’il risquait d’être bientôt livré aux troupes
françaises de Leclerc qui commençaient à rejoindre Berlin, il a vite compris
qu’il lui fallait s’échapper.
Une nuit, il
déchira la toile de tente, il avait « emprunté » des affaires à un
civil qui venait aider à les soigner et qui avaient laissé ce soir là quelques
vêtements pour un des blessés qui allait retourner dans son pays.
Pierre Vincenot
a disparu de ce jour là, et on ne
retrouvera sa trace que bien plus tard quelque part au Maroc.
Pour ma part,
brusquement, je me suis retrouvé face à lui, chez son père, dans la villa de La
Garonne, près de Toulon. Je ne savais pas tout de son histoire, Maman ne m’en
avait alors révélé que des bribes !
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